Pourquoi ce livre
Shenaz Patel
Il y a une vingtaine d’années, j’ai été très
frappée, un jour, par des images vues dans les journaux, de femmes
s’opposant avec véhémence à la police lors d’une
manifestation à Port Louis. J’ai ainsi découvert, plus
en détails, le combat des Chagossiens, peuple déraciné.
Peu de temps après, devenu journaliste, je suis, pour un de mes
premiers articles, allée à la rencontre de ces femmes qui
m’ont raconté l’histoire tragique qu’elles avaient
vécue, et qu’elles continuaient à vivre. Parmi ces
femmes se trouvait Charlesia, que j’ai à nouveau retrouvée
des années plus tard. Et qui, en apprenant que j’écrivais
des romans, m’avait fait promettre qu’un jour, je raconterais
aussi son histoire à elle.
Si l’écrivain a un rôle quelconque à jouer,
(ce qui demeure une question posée), c’est peut-être
pas seulement d’inventer des histoires mais aussi de ne pas laisser
mourir les histoires qui existent autour de lui, et qui demandent à être
racontées pour ne pas sombrer dans l’oubli et le silence.
Et le romanesque me semble, au fond, un moyen privilégié de
rendre plus réel, plus vivant, de donner une chair, un sang, des
yeux, une respiration, une incarnation à une histoire qui pourrait
autrement rester uniquement une affaire de dates et d’événements.
Pour écrire Le Silence des Chagos,
je me suis donc inspirée
de l’histoire que m’a confiée Charlesia, mais également
d’autres personnes comme Raymonde et Désiré, rencontrés
par la suite. Eux aussi ayant vécu une histoire qu’il m’aurait
semblé dommage de ne pas aider à faire connaître.
À travers leurs histoires romancées, Le Silence des
Chagos est aussi mon humble contribution à la lutte légitime
menée par les Chagossiens pour faire connaître le sort qui
leur a été infligé, au mépris du plus élémentaire
respect pour leur personne. Une histoire qui m’interpelle directement
sur le plan humain d’une part, et d’autre part comme partie
de l’histoire de mon pays, spolié sans grand recours au
moment de la décolonisation.
Loin toutefois du livre-document, Le Silence des Chagos est
pour moi le livre du ressenti, qui tente de faire vivre de l’intérieur
ce que peut être l’épreuve du déracinement…
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