Les Chagos : quand le silence est rompu et accuse...
R. Laurent de Témoignages du 08 mars 2005
Shenaz
Patel est journaliste. Elle est également mauricienne.
Elle vient d’écrire un ouvrage qui a suffisamment frappé l’opinion
pour que les réalisateurs de l’émission “Tropismes” l’invitent
pour en parler.
C’était ce samedi 5 mars, un peu avant midi, sur Télé Réunion, en
différé. “Le silence des Chagos” dit tout sur cette ignoble saloperie que
la puissance américaine
s’est crue autorisée à commettre en plein Océan Indien, sur une terre, dont
elle a estimé qu’elle pouvait obtenir de l’Angleterre qu’elle lui soit cédée
et que les gens qui y habitaient, parce qu’ils y étaient nés, pouvaient en être
virés.
Pour que la brutale soudaineté du cauchemar agisse à la manière d’un anesthésiant
qui vous vide la mémoire de tout ce qui vous rattacherait à votre vie déjà vécue,
tout fut exécuté en une demi-heure. Une demi-heure donnée à tous les Chagossiens
pour entasser ce qui pouvait entrer dans les sacs ou les valises disponibles ; une demi-heure
pour ne pas avoir le temps de comprendre ce qui arrivait ; une demi-heure pour anéantir
tout sursaut de révolte et d’indignation ; une demi-heure pour écraser, écrabouiller
la fierté d’être homme sur sa terre, piétiner l’envie d’être
femme et d’être mère dans son peuple ; une demi-heure pour balayer une réalité comme
on se paiera, quelques années plus tard, du prisonnier irakien après avoir bombardé un
pays pour y rechercher des A.C.D.M., autrement dit des “armes chimiques de destruction massive”,
dont des rapports avaient pourtant dit qu’elles étaient là, prêtes à frapper !
Ce dimanche, à Sainte-Suzanne, il fut donné au Congrès de l’U.F.R. de saluer
debout, deux femmes des Chagos, émouvantes dans leur drame, hier subi, aujourd’hui porté devant
les opinions publiques du monde entier. Deux femmes, deux bouts d’monde qui, sans le savoir,
lancent un message de défi à ceux qui, à mille lieues de chez elles, se félicitent
avec l’assurance des brutes, d’être d’impunis “gendarmes” du Monde.
Mimose Furcy et Jenny Mardaye n’ignorent sans doute pas la puissante arrogance qui prévaut
au pays de Rice Condoleezza et de Georges W. Bush. Jacques Vergès, dans son tout dernier livre*,
nous raconte un des volets de ce mépris, qui s’affiche sans retenue là où l’Amérique
a choisi de s’asseoir sur les droits des autres.
Un Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (T.P.I.Y.) a été mis
en place pour juger, selon les règles du droit international, d’anciens dirigeants de
cet État et notamment son ex-président Slobodan Milosevic.
Un général américain, Wesley Clark, est appelé à témoigner.
M. Wesley Clark a commandé les troupes de l’OTAN pendant le bombardement de l’ex-Yougoslavie.
Ce qu’il a à dire, ce qu’il a à apporter en réponse aux questions
du T.P.I.Y. voire à celles des avocats du Slobodan Milosevic ne manqueraient assurément
pas d’intérêt.
Eh bien, le gouvernement américain a obtenu que les déclarations de M. Wesley Clark
lui soient transmises, avant d’être consignées dans les documents officiels du procès,
pour correction éventuelle en vertu des “intérêts nationaux” (américains,
cela va de soi) qui doivent être préservés ! Entendez par là que l’image
des États-Unis - qui ont vocation à intervenir n’importe où dans le monde
au nom des intérêts qu’ils y ont - ne saurait être écornée par
les propos d’un général soudain saisi de l’envie de dire ce qu’il a
fait et surtout ce qu’on lui a demandé de faire.
Imaginez un peu que l’officier américain, qui a fait tirer sur la voiture des diplomates
italiens qui ramenait de sa période d’otage la journaliste Giuliana Sgrena, explique pourquoi
on est arrivé à ça ; imaginez encore qu’on découvre demain pourquoi
on a vidé les Chagos de tous ses habitants et les raisons pour lesquelles on a tué tous
les chiens qui s’y trouvaient encore.
Oui, imaginez : on serait encore obligé d’expliquer la “bavure”...
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