Le CD-Rom Charlesia: la voix des Chagos
Cet album représente un des rares enregistrements du patrimoine musical chagossien,
en péril vu la disparition inexorable des derniers natifs de l’archipel.
Charlésia
Alexis qui fait perdurer sa tradition malgré la tragédie culturelle qu’ont
connue les Chagos, y est à l’honneur. Ce collectage de terrain, principalement
réalisé à Maurice en mars 2003, a été réalisé avec
l’aide de la journaliste Shenaz Patel, et de Fanie Précourt, doctorante en
ethnomusicologie.
Charlesia Alexis est une voix. L’une des dernières qui
se souvient et qui interprète toujours les ségas qu’elle
et ses amis composaient et chantaient lorsqu’ils vivaient aux Chagos.
Une voix qui a aussi été à l’avant-plan du
combat mené par les Chagossiens depuis leur exil forcé à Maurice à partir
de 1967, lorsque les Britanniques soustraient la souveraineté de
l’archipel en échange de l’indépendance accordée
en 1968 à Maurice, jusque–là colonie. Charlesia Alexis
est un des derniers témoins à la fois de la vie menée
aux Chagos et de ce déracinement durement vécu, qui attend
toujours réparation.
Née à Diégo Garcia, île principale de l’archipel
des Chagos, en septembre 1943, Marie Charlesia Lambo, membre d’une
famille de neuf enfants, y partage la vie de cette population, simple
et proche de la nature, dont la principale activité réside
dans l’exploitation de cocoteraies pour le compte d’une compagnie
basée à Maurice. Unie à l’âge de 14
ans à André Alexis (décédé en mai
2003), elle aura dix enfants, dont trois sont toujours en vie.
La vie
bascule pour elle en 1967, lorsqu’elle accompagne son mari à Maurice
pour le faire soigner. Celui-ci guéri, elle se rend au bureau
de Rogers (compagnie de transport et d’industries variées) à Port
Louis pour signifier son intention de rentrer à Diégo.
C’est la que tombe la phrase fatidique : pour elle il n’y
aura pas de retour, « les îles sont fermées » lui
dit-on. L’incompréhension cède vite la place à la
douleur et au désespoir lorsqu’elle comprend qu’elle
ne retrouvera jamais ce pays où sont enterrés ses ancêtres,
et dont elle était en principe partie pour quelques semaines seulement.
Mais Charlesia, c'est aussi un tempérament. Un tempérament
de battante, qui va la placer à la tête de la lutte menée,
en première ligne par les femmes chagossiennes, pour réclamer
le retour dans leurs îles, et une compensation financière
pour le préjudice qui leur a été infligé.
Dans cette lutte, les Chagossiennes se heurteront souvent à la
police, une police que Charlesia ne craint pas de défier, quitte à recevoir
des coups de bâton. Elle connaîtra aussi la prison, avant
de faire partie des délégations de Chagossiens qui se rendent à Londres
pour exposer leur situation et leurs revendications au gouvernement britannique.
Une lutte longue, difficile, et dont Charlesia
attend toujours l'aboutissement, survivant dans des conditions précaires à Pointe aux Sables
où elle va encore pêcher certains jours, lorsque sa santé le
lui permet. Elle rêve d'un retour qu'elle sait improbable dans
ces îles qu'elle évoque volontiers comme un paradis perdu.
C'est de ce destin, d'abord harmonieux,
puis brisé, que témoigne
Charlesia Alexis à travers ses chansons. Aujourd'hui, elle est
une des dernières voix à incarner une tradition musicale
propre aux Chagos. Elle nous en livre quelques échos, accompagnée
par un groupe composé de musiciens mauriciens et chagossiens avec
lesquels elle se produit parfois dans des «fancyfairs» (kermesses),
et autres concerts de quartier. Charlesia puise dans sa mémoire
pour restituer des paroles et des airs qui n'ont jamais été écrits.
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