Pour un engagement Littéraire

Vèle Putchay de l'Express du 19 janvier 2005

Nous l’avions presque oublié. Mais Le silence des Chagos est venu nous le rappeler : chaque écrivain a un devoir moral face à la condition humaine. Il a une responsabilité – imposée par la société – qu’il doit sans cesse revendiquer pour briser l’insoutenable légèreté qu’engendrent trop souvent ses projets individualistes, voués aux intérêts mercantiles et aux goûts pour la notoriété. Rompre l’inertie, s’engager, élever la voix, dénoncer l’injustice partout, s’investir dans la vie collective et enfin réclamer la liberté pour autrui. Telles sont les tâches de tout intellectuel qui écrit. En répondant à ces appels, Shenaz Patel a réussi un beau coup, dénonçant par la même occasion la négativité de l’écrivain intellectuel qui ne s’engage pas.

Dans un monde où règne l’instabilité, sa dernière œuvre est donc venue se définir par rapport à une valeur transcendante. Elle ne se donne pas elle-même pour fin, mais prend appui sur l’angoisse qui gouverne l’existence des hommes dans une époque contemporaine. Elle obéit à la situation actuelle qu’elle décrit pour éveiller la conscience d`autrui. En ce sens, l’œuvre est dépassement. Elle cherche à rompre avec un certain idéalisme littéraire qui favorise la conception de l’art pour l’art. Elle prône donc les valeurs de la littérature de l’engagement.

Mais seulement, et c’est bien là tout le problème, l’engagement littéraire de Shenaz, contrairement à ce que l’on attendait d’un tel objet littéraire, se limite ici à l’exposition de la situation. L’écriture se cantonne dans des descriptions conduisant aux faits romancés, parfois même trop, en refusant de répondre à l’appel d’une littérature comme condition essentielle de l’action. Ne valait-il pas mieux conduire l’écriture narrative à obéir aux exigences de celle du pragmatisme, vu que le sujet est toujours d’actualité et que le temps même est à l’action ? Certes, notre auteur ne pouvait pas prévoir que la sortie de son ouvrage allait coïncider avec les évènements politiques d’aujourd’hui. Mais la nature du sujet présentait, à l’époque même de la narration, suffisamment de questions sérieuses (ce qui expliquerait par ailleurs son inscription dans la fiction littéraire) pour éviter de se limiter à la présentation de la situation dans une belle langue.

La tendance à vouloir romancer a malheureusement fini par maintes occasions à donner lieu à de vaines descriptions. En effet, à certains endroits, une trop abondante description des choses d’à côté et une concentration des menus détails qui tirent en longueur déconcertent souvent la lecture. Le style est parfois alourdi et les pistes sont brouillées. Cela donne à la narration un double niveau et tend à noyer l’intérêt romanesque principal dans des détails futiles. En fin de compte, la trame principale est quelque peu masquée par d’inutiles descriptions. Ce qui est dommage pour un ouvrage d’un tel investissement et qui affiche sa liberté formelle de dire, de soulever l’interrogation sur son époque.

Nous pensons que l’auteur aurait pu faire abstraction de certaines descriptions et rajouter au lieu de cela la part imaginaire susceptible de faire évoluer la pensée des Chagossiens vers le pragmatisme en les invitant à l’action plutôt que de transcrire avec fidélité leur tendance à vivre l’angoisse de leur situation. La mise en langage des faits réels est une bonne chose, mais parce que ce réel est inscrit dans la fiction, d’autant plus que, comme l’affirme l’auteur, “la fiction me semble, au fond, un moyen privilégié de rendre plus réel, plus vivant… ”, l’histoire racontée aurait sans doute pu servir de fond à la démonstration d’un passage à l’acte. Cela n’aurait rien changé à l’authenticité du noyau de l’histoire, mais la narration aurait répondu à l`appel du devoir de l`écrivain qui est non seulement de dénoncer, mais aussi d’indiquer la voie, de donner l’exemple.

En somme, dans Le silence des Chagos, il y a déjà la révolte et le combat pour la liberté. Ce silence, contrairement à ce que pourrait supposer le libellé, n’est pas neutre. La voix de la contestation se fait entendre à divers degrés. Ce n’est pas ce même silence que l’on rencontre dans Le silence de la mer de Vercors où régnait le vrai silence et l’obligation à la collaboration à cause de l’Occupation allemande et des conséquences de toute désobéissance. Les critiques eux-mêmes avaient mis du temps à comprendre que le héros de Vercors n’était pas un traître qui collaborait mais un résistant qui résistait passivement dans la soumission et le… silence. Dans l’œuvre de Shenaz, le silence est ici inscrit en contradiction, pour ne pas dire en porte-à-faux. Il est trop communicatif, trop éloquent dans le texte pour conserver sa caractéristique première et inhérente de mutisme que lui confère le libellé.

En ce sens, si, avec Le silence des Chagos, Shenaz réussit un coup de maître en tant qu’écrivain engagé, elle est toutefois prise au piège de la volonté de romancer des histoires individuelles et d’un certain idéalisme littéraire dont un certain nombre d’écrivains de l’après-guerre s’en sont débarrassés, voire ils ont préféré des pièces de théâtre à cause de la proximité avec le public et à cause de l’impact direct et immédiat, pour mieux répondre à l’appel à l’engagement qu’exigeait la situation sous l’Occupation. Mais le mérite de Shenaz Patel est sans doute de nous avoir dévoilé notre propre nature. Car Le silence des Chagos est en réalité le silence de tous les hommes libres, de tous les hommes qui ont le pouvoir d’agir mais qui se taisent. C’est notre silence à nous tous. Et ce n’est pas la gloire !

 
     
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