Une superbe lecon de vie
"L'express" 3 Novam 1996
Misyon Garson, premier roman en créole de Lindsey Collen, est
une superbe leçon de vie, cette vraie vie si chère à Rimbaud.
Présenté mercredi dernier, chez Rajni Lallah, à Curepipe,
ce roman dont la couverture est signée par Ennri Kums et Alain Ah
Vee, succède à There is a tide et The rape of
Sita, les deux précédents ouvrages de l'auteur, écrits
en anglais et dont le second lui valu louanges au niveau international
et censure dans son pays d'adoption !
En 42 chapitres, Misyon Garson raconte
l'histoire de Garson, un jeune de 17 ans qui a connu l'échec aux examens du HigherSchool Certificate.
Envoyé en "mission" chez son oncle par sa mère,
le jeune Mayk va, en deux nuits, connaître la vie qui, jusqu'à présent,
lui a échappé, pri-sonnier du cocon familial et du quotidien.
Parcours initiatique d'un enfant, qui va
peu à peu devenir homme,
après avoir connu le vagabondage, frôlé la prison,
rencontré des voleurs et subi une véritable leçon
politique auprès de syndicalistes. Garson trouvera finalement l'amour
auprès de Tifi et apprendra à se connaitre, ce qui était
en somme le vrai but de sa mission sur terre.
Imprégné de fulgurances poétiques
Ecrit dans un style limpide, tout le roman
de Lindsey Collen est traversé de
fulgurances poétiques comme le montre l'extrait suivant:
Sapit Kenz: "Kan rant dans sime Montayn
Long, bis lamem paret relax enn ku. Li ralanti. Li respire. Li kalme.
Li aret tronpe.
Dimunn kumans koz-koze.
Kifer bizin prese? Lavi kumans kalme otur de. mwa. Enn trankilite desann.
Montayn pe koste. Ofir ek amezir. Lesyel kler net. Soley pepas ba. Mo
ti oredi ammn enn sapo. Kann kumans sedplas a zenzam. Later plat kumans
vinn pian lipye montayn. Mo sonn sonet. Desann. Sot lari. Dive flote
dan ler lao lari. Detrwa papiyon traverse. Lot kote pli bon ? Mo poz
mo sak lor enn ros kot bistop retume. Lor ros, mo truv enn tipulbondye.
Tusel, li été.
E telman diyn. Sirman tultan ena zafer kumsa. Zis mwa, mo pas remarke.
Mo kantan sa tipulbondye la. Mo lev mo sak, mu dir li enn ti bon zur,
mo ale."
Ce passage donne une idée de cette quête de soi de Mayk,
un enfant qui prend la cause des bêtes et des autres, pour mieux
se découvrir. Dama, sa petite voix, Kapitenn, Kade, les deux copains
rencontrés au détour d'un chemin et qui l'emèneront
sur la route de la vie, amènent à un constat : Linsday Collen
est un très grand écrivain et il faut espérer que
ceux qui la critiquèrent lots de la parution de The Rape of
Sita prendront la peine de lire le roman.
Une allégorie sur la renaissance
Et il faut également souhaiter qu'il n'y ait pas de polémique
autour de la "mission" de Garson, car ce qu'il doit rapportera
sa mère, pour la fête de Maha Shivaratree, est connu de tous à Maurice.
A moins qu'on veuille encore faire croire que l'auteur a blasphémé !
Constamment baigné, lavé même, par l'eau, celle de
la mer, de ses larmes, de la rivière Belil de Bambous, Misyon Garson
est une allégorie sur la (re)naissance, où l'enfant revient
dans le ventre de la mère, la maison familiale, pour se ressourcer,
se régénérer: "Enn plas kot mo pu rezener momem,
regayn mo lafors intem, rebwar dilo depi lasurs mo prop lavi".
N'en déplaise au ministère de la Culture, pour qui la langue
créole ne semble pas exister, l'auteur prouve qu'on peut tout faire
avec celle-ci, faire l'amour dans une maternelle par exemple, ou donner
une leçon politique à ces menteurs qui montent sur les caisses à savon
pour nous embobiner. Lindsey Collen nous a donné un récit
proche des road-movies américains et que tous nos cinéastes
gagneraient à lire, car il y a dans les pages de Misyon Garson un
rare souffle visuel !
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