Premier roman
en créole de lindsey collen
Nazim Esouf depi "Le Mauricien " 31
Ut 1996
Pour son premier roman en créole, Misyon Garson,
Lindsey Collen met en scène une écriture saccadée. Phrases
courtes, expressions laconiques... le créole du roman est celui
dun rythme particulier, d'une certaine oralité propre à une
ecnture naissante sans grande tradition littéraire. C'est la raison
pour laquelle, entre autres, l'écriture créole ne se renferme
plus dans un quelconque purisme de la langue. Le créole de Misyon
Garson emprunte aux structures grammaticales et syntaxiques du français.
L'auteur aurait-elle voulu démontrer qu'on a franchi, transcendé les
petites querelles liées au désir de préserver les
formes du parler? Ou est-ce un inconscient du langage qui annule le clivage
français-créole dans lequel on a tenté de cloisonner
ces deux langues à Maurice? Et en sortant de l'impasse qu'a constitué le
choix d'une graphie?
«La graphie ki monn servi, li
un peu standardisée. Mo
plutôt finn opté pour enn forme qui montré ki processus
pé continué», explique Lindsey Collen. L'auteur
concède, dans le même souffle, que, dans l'écriture
d'un ouvrage de fiction, la littérature relègue au second
plan la question de la langue. «C'est zistoire là ki
guide un peu la manière écrire», fait-elle ressortir.
Le cas de Lindsey Collen a quelque chose de particulier. Si, aujourd'hui,
elle maîtrise la langue créole, il ne faut quand même
pas oublier que le créole n'a pas toujours été sa
langue première. Mais il faut également souligner qu'elle
a commence à apprendre simultanément le créole parlé et
le créole écrit. Lindsey Collen aura d'abord été l'auteur
de deux romans en anglais. «Quand écrire en anglais,
en plus ki raconte enn zistoire, ou rente dans enn dialogue avec bann
auteurs existants et bann séki inn morts. Par contre, pou créole,
le poids de l'histoire li moins. Bann mots-là sorti plus directement
d'enn tradition orale», fait-elle remarquer. De la même
manière, écrire en créole impose un autre exercice à celui
qui s adonne à l'entreprise. La question du lectorat et de la
réception surgit irrémédiablement.
Qui est le lecteur de la littérature créole? Si on peut,
avec une certaine facilité, se représenter le lectorat anglophone
ou francophone, les donnes ne sont pas les mêmes pour des écnts
en créole. «Li enn kikchose difficile. Parceki, en même
temps pé écrire en créole, ou aussi pé maginé ki
sann-là pou lire li. Pou créole, péna enn lectorat
stable», souligne, à cet effet, Lindsey Collen. L'écriture
créole, ajoute-t-elle, s'est surtout manifestée à travers
des pièces de théâtre et des textes poétiques.
Si, d'une part, il est difficile d'écrire un roman en créole,
d'un autre coté, il faut aussi, soutient-elle, se rappeler que le
créole a souffert d'une sorte de «terrorisme historique».
L'écriture romanesque créole a subi, pendant des années,
les éclaboussures d'une écriture minorée. Ce qui explique
que ses premières manifestations auront été de s'inscrire
dans une perspective de revendication. C'était, au départ,
une écriture qui cherchait une légitimation, une reconnaissance.
La parole créole s'exhibait avant de raconter une histoire ou avant
de se trouver un style. Aujourd'hui, la donne n'est plus tout à fait
la même. Reconnue comme la langue de toute une population, bien que
n'étant pas officiellement admise, la langue créole exploite
d'autres possibilités, tant au plan littéraire que musi-cal,
qui témoignent d'une quête moins ancrée dans la réalité sociale
que dans la fiction romanesque.
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