Nouvelle distinction internationale pour Lindsey Collen
Shenaz Patel from Week End, 06
February 2005
Lindsey Collen remet ça: dix ans après avoir remporté le
Commonwealth Writers Prize (Africa) pour The Rape of Sita, elle
vient à nouveau de se voir attribuer cette prestigieuse distinction
du monde littéraire anglophone pour Boy, publié l'an
dernier chez Bloomsbury. Un prix qu'elle reçoit aussi comme une
distinction pour la langue créole, Boy étant une
adaptation en anglais de son premier roman en créole, Misyon
Garson, édité en 1996 par LPT. Elle se retrouve maintenant,
avec trois autres auteurs, en lice pour le overall Commonwealth Writers
Prize qui sera attribué en mars prochain à Malte.
Créé en 1987 à l'initiative de la Commonwealth Foundation,
le Commonwealth Writers Prize (CWP) vise à encourager et récompenser "the
upsurge of new Commonwealth fiction and ensure that works of merit reach
a wider audience outside their country of origin". Au fil des
années, ce Prix est devenu un des grands rendez-vous de la littérature
anglophone et mondiale, célébrant "the outstanding
literary talent that exists in many parts of the Commonwealth and its contribution
to contemporary writing in English". Des auteurs comme Vikram
Seth ont ainsi fait partie de ses lauréats.
Des auteurs prestigieux
C'est d'ailleurs le formidable Suitable Boy de
ce dernier qui avait remporté le Prix toutes catégories en 1994, année
où Lindsey Collen se distingua en remportant le Commonwealth Writers
Prize pour la région Afrique pour The Rape of Sita (roman
qui fut interdit à Maurice pour cause de susceptibilités
religieuses et politiques).
Il faut savoir que le CWP se divise, dans
un premier temps, en quatre régions, à savoir Afrique, Caraïbes et Canada, Eurasie
(Europe et Asie), Asie du Sud-Est et Pacifique Sud. Les éditeurs
anglophones sont invités à soumettre deux romans pour chaque
région, l'un concourant dans la catégorie générale
et l'autre dans la catégorie des premières œuvres (best
first book). Des jurys, composés en grande partie de professeurs
de littérature, se réunissent ensuite pour établir
une première sélection, puis pour choisir les deux gagnants
pour chaque région.
Au terme de cette sélection qui a été finalisée
le 1er février dernier, il ressort donc que le Boy de Lindsey
Collen a été choisi comme best book pour la région
Afrique, le prix du best first book pour cette même région
revenant à Chimamanda Ngozi Adichie pour Purple Hibiscus.
Lindsey Collen était en lice aux côtés de quatre autres
auteurs, dont les réputés André Brink (auteur sud-africain
ayant signé notamment le fameux Une saison blancheet
sèche) et le non moins réputé Chris Abani, romancier,
poète et dramaturge nigérian.
Pour la prochaine étape, les best books choisis
pour chacune des quatre régions seront soumis à un jury international
nommé par la Commonwealth Foundation. Il s'agira donc de Boy de
Lindsey Collen pour la région Afrique, de Runaway d'Alice
Munro pour la région Caraïbes et Canada, de Small Island d'Andrea
Levy pour l'Eurasie et de The White Earth d'Andrew Mc Gahan pour
la région Asie du Sud-Est et Pacifique Sud. Le gagnant parmi ces
quatre sera connu le 4 avril 2005.
En attendant ce grand rendez-vous, Lindsey
Collen se réjouit déjà de
cette distinction pour Boy. Un roman issu d'une trajectoire particulière.
Tout remonte à 1996. Après There is a tide et The
rape of Sita (Commonwealth Writers Prize 1994 for Africa), Lindsey
Collen publie alors Misyon Garson, son premier roman en créole.
Huit ans plus tard, elle sort, chez le réputé éditeur
britannique Bloomsbury, non pas une traduction mais une adaptation en anglais
de Misyon Garson. Ce sera Boy, livre aussi plaisant qu'intense,
qui, fidèle à l'engagement de son auteur, met sur le tapis
des sujets épineux et souvent entourés d'hypocrisie. Comme
celui du gandia.
Nouvelle réussite pour LPT
Publié par Ledikasyon Pu Travayer, Misyon Garson racontait
en effet l'histoire de Garson, un jeune de 17 ans, au lendemain de son échec
aux examens de HSC. Un personnage à l'étroit dans son nom,
dans son corps, dans sa famille marquée par une perte récente,
dans un entourage qui se limite à l'école et la maison de
ses parents, espaces reliés par une autre bulle, celle du taxi paternel.
Tout cela va exploser quand il est envoyé par sa mère pour
effectuer une mission: aller chercher un pouliah de gandia chez son oncle,
son Mamu Dip, à Krevker, pour la fête religieuse qui approche.
Un périple qui va se révéler un véritable voyage
initiatique à l'intérieur de l'île Maurice, avec des
péripéties et des rencontres qui vont amener Garson à se
découvrir lui-même. À grandir.
Dans Misyon Garson, Lindsey Collen
maniait avec brio une certaine oralité, donnant très distinctement l'impression d'entendre
parler un jeune garçon mauricien du milieu qu'elle décrit.
Une réussite en soi.
L'histoire aurait pu en rester là. Mais après avoir écrit Mutiny (publié chez
Bloomsbury en 2001), l'auteur confie s'être sentie un peu enfermée
dans la cellule de cette langue nue et dure qu'elle avait utilisée
pour ce roman. C'est pour tenter d'en sortir, dit-elle, pour revenir en
quelque sorte à une écriture plus fluide, qu'elle décidera
de faire Boy. Un peu comme une thérapie.
De fait, loin de ne s'agir que d'une traduction de Misyon Garson, Boy se
révèle davantage comme une adaptation, voire même une
création en soi. Certes, l'histoire est la même à la
base. La façon de la raconter aussi. On y retrouve en effet ce remarquable
sens de la narration et cette écriture assez elliptique de Lindsey
Collen, ces phrases courtes, ces mots répétés qui
se font écho pour s'enrichir ou, inversement, pour se réduire
graduellement à la moëlle de leur sens profond.
Reste que dans Boy, plus peut-être
que dans Misyon
Garson, on a l'impression, au-delà de l'oralité, d'atteindre
vraiment à l'intériorité profonde de la personne.
Beaucoup plus d'emphase est en effet mis, dans Boy, sur ce que
ressent et vit, de l'intérieur, ce jeune garçon. Ce qui
en fait un personnage encore plus riche, intense et ressenti par le lecteur.
Au-delà, la parution de Boy après Misyon Garson se
révélait aussi passionnante dans ce qu'elle dit justement
du travail d'un écrivain. Comment il évolue avec le temps.
Comment il peut trouver des façons différentes de raconter
une même histoire. Comment, à l'instar de ce Boy,
il grandit. Et arrive à séduire d'autres lecteurs, bien au-delà de
nos rivages…
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