"Soirs d'enfance" de Michel Ducasse: une musique de l'intérieur
Le Mauricien, 6 Juillet 2004.
Après Alphabet et Mélangés,
Michel Ducasse fait paraître Soirs d'enfance, son troisième recueil de poésie, en français et en créole, et préfacé par le poète réunionnais
Bernard Payet. Davantage que ses deux premiers ouvrages, Soirs d'enfance témoigne d'un ensemble homogène et dans lequel l'auteur dévoile, par ailleurs, un univers plus personnel. Côté présentation, ce nouveau recueil révèle une fois de plus le souci d'originalité et du bel ouvrage tant de la part de l'auteur que de l'éditeur, Vilaz
Métis : couverture et mise en page sobre et ludique sur feuilles
couleur pastel, rehaussée par des illustrations de Laval Ng.
Alors que le créole et le français étaient à parité dans
les deux premiers titres, Soirs d'enfance contient seulement deux
textes en créole, l'un ouvrant et l'autre clôturant le recueil. Divisé en trois volets, les thèmes de l'enfance et de l'adolescence s'y côtoient,
en quelque sorte, sans cloisonnement, favorisant ainsi une lecture sans heurts,
d'un texte en demi-teintes et d'inspiration plus intimiste que Alphabet et Mélangés.
Si dans Les mots tus,
la première partie du recueil, on assiste à la confrontation de l'enfant à la vie urbaine et aux atrocités de la guerre - thèmes mis en page ici dans des tons gris ardoise , le deuxième volet, mieux senti comme l'est également le troisième met en scène une certaine nostalgie du passé, par l'évocation
de l'enfance enfuie " sous le préau de nos sept ans ", le constat du temps qui passe et de la perte de l'innocence.
Dans Une pluie de seize ans,
on assiste en effet aux tâtonnements de deux adolescents découvrant l'amour. Amours sans lendemains, et néanmoins regrettés, parce que le temps est passé par là. Des mots aux accents de cette douce mélancolie qui fait dire à Maxime
Le Forestier : " Dès que séchera la rosée/La rouille se sera posée/Sur ma musique et sur mes vers "… Le
texte illustrant peut-être le mieux cet état d'âme est cette évocation d'un tango dansé dans un bal populaire, Place Stanislas, à Nancy. Où à un
moment, " Le paysage tangua au loin ", puis " La ville entière
nous ouvrit ses reins " avant que, finalement, le lendemain matin
ne cueille la solitude des deux amants désenchantés. Néanmoins, ils se souviendront avec nostalgie de cette soirée, après bien des années,
alors qu'ils seront devenus " vieux ". Seul texte de deux
pages hasard ou détermination de l'auteur, ce tango apparaît, également, comme le point névralgique situé au
centre du recueil.
Dédicace explicite à sa
fille, Les yeux de Lisa est aussi un clin d'œil manifeste
aux Yeux d'Elsa, d'Aragon. Dans cette troisième partie, Michel Ducasse évoque, à travers la fraîcheur de l'innocence (re) découverte, et retrouvée
dans ces " yeux aux pépites d'enfance ", le baume
dont il panse ses blessures reçues au long d'un parcours embrouillé de
chemins de traverse. Encore heureux que, " Au compteur de mon enfance/Il me reste Monsieur Prévert/Pour dire oui avec le cœur ".
Mais l'enfance est aussi, et surtout, aux yeux de l'auteur adulte, régénérescence
puisque, ces rires d'enfant font " de mes déserts d'adulte " (…) " des
estuaires vagabonds ", et que " Tes mots tombent en cascade/Sur mes jours révolus ".
Avec ce troisième recueil, le plus abouti des trois qu'il a publiés jusqu'ici, Michel Ducasse semble avoir trouvé sa voie, de celles aptes à interpréter la musique habitant à l'intérieur de lui-même et qui s'exprime ici en petites touches fines et lumineuses, à la manière
de la peinture impressionniste.
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